Dans une Géorgie inféodée à l’URSS, deux groupes se disputent l’usage d’une terre. Les uns en ont été chassés par les allemands pendant la guerre, et aspirent désormais à rentrer chez eux. Les autres ont imaginé un projet agricole dont la mise en œuvre nécessite qu’on leur cède l’usage de la fertile vallée. À la fin des négociations, on fait venir un poète, on donne une pièce de théâtre, Le cercle de craie: afin que l’art éclaire la vie. Dans cette fable qui en contient deux, Groucha Vachnadzé, une modeste fille de cuisine, sauve de la mort Michel, héritier d’un gouverneur assassiné pendant un coup d'État, lâchement abandonné par sa mère. Groucha et Michel échappent aux soldats, traversent des montagnes, fuient jusqu’aux confins du royaume, et parviennent à se faire oublier. Puis un nouveau coup d’état survient, qui rétablit le régime initial, et permet à sa mère biologique de réclamer qu’on lui rende Michel. Mais Groucha revendique l’enfant, elle aussi: elle l’a élevé, il est le sien. C’est Azdak qui instruit l’affaire, un vagabond que les circonstances ont installé en lieu et place du juge du royaume. À qui remettra-t-il l’enfant?
Écrite en 1945, la pièce de Brecht imagine, dans un monde saisi entre la conquête capitaliste et l’édification socialiste, la réalisation d’une utopie de partage et de raison, l’utopie d’un monde sans classes. Notre époque n’a plus rien à voir avec la seconde moitié du XXe siècle, et la domination néolibérale semble désormais inéluctable. Pourtant, travailler avec Brecht aujourd’hui, c’est se permettre de l’interroger à l’aune de l’Histoire, se permettre de considérer l’écho dans notre temps des intentions qui ont pu être les siennes, les bonnes comme les autres. Pour continuer à imaginer des alternatives à la domination, surtout quand tout autour semble concourir à sa perpétuation.